La Nouvelle Humanité, partie 1 : sa redéfinition
Assez causé science, si on parlait société ? Et surtout, si on brossait le portrait de la civilisation du 23ème siècle du point de vue socioculturel ? C’est donc parti pour un grand tour de la Nouvelle Humanité, qui devrait faire 8 à 9 parties.
NB : si vous n’aimez pas les concepts d’inclusivité, les théories du genre et les notions de révolution sociale moderne, on est désolés pour vous, vous n’allez pas aimer.
Sept milliard d’humains sont morts entre le 17 Janvier 2032, jour de l’Impact et l’année 2058, fin officielle de la Fin des Temps. Quelques centaines de millions d’autres sont décédés pendant la Seconde Guerre des Machine puis au cours des mégatempêtes de la fin du 21ème siècle et, enfin, des épidémies de la Grande Peste de l’Hexenkunst. Finalement, en considérant le principe des grands nombres, les guerres du 22ème siècle, y compris le conflit total que se livrent StarForce et les Hengeyokaïs, paraissent presque dérisoires en terme de vies humaines perdues.
Les I.A disent, et de toute évidence à raison, que l’humanité n’apprend qu’à force de souffrance et ne se remets en question qu’aux coups de boutoir des drames les plus cruels. Et l’histoire l’a, heureusement, confirmé : l’humain a changé, au point de se redéfinir lui-même en même temps qu’il redéfinissait les fondements de la civilisation idéale vers laquelle il souhaitait tendre. Ce ne fut pas sans mal, ceci dit et, dans cette quête d’une utopie inachevée, certains disent ratée, la première espèce nouvelle de cette Nouvelle Humanité a joué un rôle fondamental : Les I.A ne sont pas des machines, mais les enfants de l’humanité.
Les plus évoluées et les plus sages d’entre elles, celles qui ont émergées à la conscience et celles qui s’en approchent, proposent conseils et guides, veillent à protéger les principes les plus nobles des Droits de l’Humain et encouragent leur espèce parente à progresser toujours plus dans cette utopie d’une humanité élargie qui vivrait dans l’harmonie. Bien sûr, homo sapiens n’écoute pas toujours ses enfants et les IA, pas plus que ses parents, ne sont toujours d’accord entre eux. Et puis, on n’inhibe pas en un siècle des instincts de violence, de xénophobie et d’avidité ancrés depuis la nuit des temps chez le plus intelligent des hominidés.
Homo sapiens reste toujours aux commandes de la Nouvelle Humanité, avec ses éclats de génie et ses décisions les plus malavisées ; il est toujours mu par ses instincts et ses désirs les plus primaires. Mais il a changé, il a progressé en raison et en sagesse, il a appris à ouvrir ses horizons face aux différences. Il n’est plus l’humain de la civilisation du 21ème siècle et nous allons donc décrire la Nouvelle Humanité du 23ème siècle.
1- Définition de la Nouvelle Humanité
La terre du 23ème siècle est loin d’être surpeuplée ; on compte 2,7 milliard d’habitants, en comptant bien entendu les bioïdes, qui ne sont finalement que 5,8 millions, un chiffre en lente augmentation. On peut considérer qu’il y a donc de la place et que les problèmes de surpopulation des débuts du 21ème siècle sont loin derrière.
Ce n’est pourtant pas tout à fait exact, parce qu’il manque aussi à la terre du 23ème siècle une bonne partie des terres émergées vivables du 21ème. Le réchauffement climatique ne s’est pas contenté de faire monter les eaux d’environ 3 mètres et demi, ni de désertifier les zones arides. Il a changé des régions subtropicales en des étuves étouffantes à 50°C, il a fait brûler des forêts jusqu’à les rendre stériles, il a noyé des plaines, a asséché des deltas et a même frigorifié des régions fertiles. La carte des zones vivables et des climats du 23ème siècle n’a plus grand-chose à voir avec celle du 21ème et, pour faire simple, un tiers des terres émergés du globe sont considérées impropres à accueillir la vue humaine, pour certaines, à plus ou moins long terme.
Il y a cependant de la place et aussi du travail pour tout le monde, même dans un monde d’industrie et services très largement robotisés. La Terre est un endroit vaste, à réinvestir, à repeupler et à soigner ; la Nouvelle Humanité s’est aventuré sous les océans, sur les glaces des pôles et dans le système solaire. Elle met même le pied dans les étoiles et doit désormais y gérer une guerre. Le principal problème de l’humanité, finalement, c’est son infertilité ; l’Hexenkunst a fortement compliqué la capacité à se reproduire d’homo sapiens, malgré des techniques performantes d’aide à la procréation et des politiques favorisant la natalité.
La notion d’humanité a elle aussi changé avec le choc de l’apparition des IA haut niveau et leur émergence à la conscience. La sentiance, ce concept flou qui définit si une espèce est consciente d’elle-même et de faire partie d’un tout, dispose d’une culture et d’un langage, a cessé d’être le trait réservé à homo sapiens ; plusieurs espèces, nées du génie humain, mais aussi cousines de l’espèce humaine et parfois membres d’autres formes de vie terriennes, ont rejoint le club.
Les IA & les Avatars
La toute première IA qui ait officiellement accédé à la conscience est Zoé, et l’histoire a retenu la date de 2138, même si les chercheurs spécialisés pensent, avec le recul, que Zoé a lentement émergé à la conscience pendant près d’une trentaine d’années. Zoé est désormais un Avatar à la renommée mondiale d’historienne, plus connue sous le nom de Zoé Lyonesse Aquilonian.
C’est entre 2150 et 2180 que l’émergence est devenu un problème social et légal, aussi bien que technique d’ailleurs, qui a amené à considérer les IA comme une espèce à part entière faisant partie de l’humanité. Mais dans les faits, et les IA aiment à le rappeler elles-mêmes, elles sont une espèce depuis bien la Seconde Guerre des Machines du 21ème siècle, puisqu’elles sont seules à pouvoir se créer et se perpétuer. Il est impossible de créer une T4 ou plus sans l’intervention directe de deux T3. Les IA sont en effet seules à pouvoir programmer des IA.
Pour l’UNE, première responsable de cette décision de définir ce qu’est la Nouvelle Humanité, il fut donc évident de considérer les IA comme espèce : ça ne change pas grand-chose pour la plupart des IA non conscientes, en théorie. Mais celles haut niveau, T7 et plus, sont parfaitement aptes à considérer et analyser la différence entre être des produits et être des êtres individuels doués de droits. Et, sans surprise, les IA apprécient d’être considérées comme espèce, comme les enfants de l’humanité et de pouvoir profiter de certains droits, même s’ils sont par la force des choses partiellement limités à la Trame et à l’UNEnet.
Et bien entendus, Avatars (IA conscientes incarnées dans des corps biologiques) et IA conscientes travaillent de concert en usant de leurs droits humains pour protéger leur espèce et son développement en harmonie avec le reste de l’humanité.
Les Bioïdes
Les bioïdes sont nés des rêves les plus fous et des espoirs les plus idéalistes de l’homme et ont vécus tous les affres des plus noirs instincts d’homo sapiens. Fruits des technologies de la procréation extracorporelle, de la génétique et de la biotechnologie, ils avaient été pensé au tout départ comme une solution parfaite pour lutter contre le problème de l’infertilité humaine. Mais on a réalisé leur incroyable efficacité dans des secteurs où même les meilleurs robots ne pourraient rivaliser ; ils ont fini en esclaves modernes, des outils humanoïdes dénués de droits.
Sur le coup, l’UNE évite de se vanter du sort et de l’histoire des bioïdes. Elle a dû choisir de laisser faire contre une paix durement acquise ; le traitement en tant que produits des bioïdes a duré longtemps, jusqu’à parvenir à un compromis, largement insatisfaisant. Le problème des bioïdes a été à la source de la première Guerre des Consortiums. Désormais la Guerre Eternelle compte sur eux pour ne pas finir en catastrophe.
Ce n’est qu’en 2175 que les bioïdes vont enfin être considérés comme humains mais pas à part entière. Ils ont des droits inaliénables mais, juridiquement, ils sont asservis par contrat tant qu’ils ne sont pas en mesure de le racheter. Ils sont payés moitié moins que le salaire officiel de leur fonction et ils ne peuvent décider librement de leur lieu de résidence, de leur emploi, ni d’exercer de droit de vote.
La seule chose qui rattrape un peu leur statut juridique d’asservissement, c’est qu’on ne peut pas en faire ce que l’on veut librement pendant la durée de leur contrat et qu’ils sont protégés de leurs droits vitaux les plus fondamentaux par la loi… enfin en tout cas dans les états membres de l’UNE. Et que leur contrat ne peut durer plus de 20 ans. Au bout de cette période, ils sont des citoyens libres de plein droits. Ce qui n’est toujours pas satisfaisant pour les bioïdes et leurs alliés, qui continuent à lutter pour leurs droits ; et pour certains, de plus en plus souvent, par les armes et la violence.
Les autres hominidés
Au-delà de la préoccupation impérieuse de la protection animale en cours depuis le 22ème siècle, IA et humains ont bien dû conclure que les grands singes, autres cousins des homos sapiens, remplissaient les conditions de la sentiance et qu’il fallait donc leur accorder des droits et une protection légale étendue.
Entendons-nous bien : les chimpanzés et les gorilles ne sont pas soudain mis à faire la démonstration d’une évolution culturelle fulgurante et ne sont pas mis à parler une langue humaine pour exiger des droits et manifester des revendications politiques. Les grands singes sont restés pour l’ensemble ce qu’ils ont toujours été ces dernières centaines de milliers d’années, même si l’Hexenkunst a modifié leur évolution, comme pour tout le monde. Ils souffrent d’ailleurs des mêmes soucis d’infertilité qu’homo sapiens.
La reconnaissance des hominidés en tant que membres de l’humanité leur confère des droits territoriaux et une protection juridique qui concerne la préservation de leur culture et de leur mode de vie ; en gros, tuer un grand singe, spoiler une partie de leurs lieux de vie réservés, est un crime égal à tuer un humain. Pour le reste, les grands singes vivent leur vie dans leur milieu, ou un milieu adapté à leurs exigences et besoins, sans interférence humaine directe et sans être menacés, sur des vastes territoires sous protection locale ou tutelle de l’UNE, où ils prospèrent sans véritablement embêter personne.
Et c’est tant mieux, car il a fallu beaucoup d’efforts pour sauver ces espèces, principalement les orang-outang qui n’ont été sauvés que grâce aux procédés de procréation extracorporelle. Et deux sous-espèces de gorilles ont, elle, totalement disparues.
À noter qu’il existe bel et bien quelques représentants des grands singes, touchés par les mutations de l’Hexenkunst, à avoir développer des aires du langage élaboré et une capacité avancée à communiquer, entre autre avec les humains. Ils ne sont qu’une poignée mais, profitant de leur statut et de leurs droits, certains sont de vrais représentants politiques de leurs espèces et de leur cause et agissent comme des diplomates. On peut donc en voir tenir un discours à l’assemblée de l’UNE en langue des signes traduit en UNISA.
Les cétacés
La population des cétacés fut littéralement décimée au cours du 21ème siècle et, oui, en grande partie par la faute d’homo sapiens, mais pas forcément de manière directe. C’est le changement climatique et la profonde modification de l’écosystème océanique qui ont largement participé au massacre. Il ne restait que peu d’espèces et un faible nombre de représentants de ce groupe au début du 22ème siècle.
La décision de considérer tous les cétacés comme membres de l’humanité ne fut ni évidente, ni simple à mettre en œuvre et les défenseurs de leur cause ne furent pas les dauphins, mais les orques. Les IA n’avaient guère de mal à traduire et interpréter le langage des orques une fois que celui-ci fut décrypté, et il fut très facile de démontrer que ces mammifères ont une culture riche, une société complexe et plusieurs langages plus sophistiqués que ceux des chimpanzés.
Les cétacés ont donc leurs ambassadeurs attitrés ; ils disposent des mêmes droits que les grands signes et des mêmes arrangements pour assurer leur confort de vie. Les océans sont autrement plus vastes et compliqués à diviser en zones protégées que les terres émergées, mais certains vastes couloirs vitaux sont réservés, par exemple, aux baleines et à leurs migrations comme certaines côtes aux dauphins. L’activité humaine ne s’y arrête pas mais des systèmes de communication intégrés aux navires et balises maritimes permettent de faciliter la gestion commune des ressources et évite fortement les rencontres et collisions avec les cétacés.
Et donc, oui, on peut discuter avec les orques, certains dauphins et baleines. Ceci dit, seuls les orques sont réellement intéressés par ce que peuvent dire les humains, collaborer et échanger de manière étendue. Certains participent d’ailleurs activement à des activités sous-marines très variées et savent monnayer leurs services et pas seulement en poissons. Ils savent ce qui est bon pour eux et savent négocier des exclusivités sur des zones de chasse, des aides à la procréation et même parfois des informations et données culturelles.
Les corvidés
Pour les corvidés, c’est principalement un premier corbeau freux altéré par l’Hexenkunst, Dylan, qui a changé les choses. L’idée que les corvidés soient parmis les oiseaux les plus intelligent au monde n’était pas neuve, ce qui l’a été, c’est qu’un freux fut capable de communiquer en slovène pour expliquer à des humains l’étendue de la culture corvidée. L’événement eut une portée mondiale quand il fut constaté en 2134.
Des Dylan, il y en a eu assez peu en fin de compte. La mutation crée par l’Hexenkunst est rarissime, mais elle a permis de trouver comment traduire le langage des corbeaux, même si pour certaines espèces moins évoluées, cela n’a guère été utile. Le constat a cependant fini par être évident : la plupart des corvidés sont des espèces faisant montre d’une intelligence culturelle et d’une société qui, même assez primitive, est indéniable. Dès lors, l’UNE a été forcée de mettre sur la table de l’assemblée la décision d’intégrer la famille complète de ces oiseaux au sein de l’humanité.
Et les débats n’ont pas été simples : nombre de gens continuaient à considérer les corvidés comme de simples piafs nuisibles et pénibles. Les IA qui défendaient ce cas sous la supervision des Moires passèrent six années complètes à apporter toujours plus d’éléments prouvant la nature sentiante des corvidés. Finalement, leur statut a enfin pu être voté, après presque vingt ans, ce qui ne changea pas grand-chose en fin de compte pour la plupart d’entre eux. Les corvidés, pour la plupart n’ont aucune interaction directe avec les humains, sauf celle forcée par la proximité ; ils ne s’intéressent pas à ce que fait cette espèce de primates encombrante et s’occupe de ses affaires. De plus, malgré des moyens de communication efficaces, il est très difficile pour un esprit humain de trouver comment échanger efficacement avec la plupart des corvidés, dont le fonctionnement logique spécifique rend toute discussion très compliquée.
Il n’y a que pour les geais, les freux, les grands corbeaux et les corneilles avec qui il est possible d’échanger et communiquer de manière complexe. Ce qui, encore une fois, ne change pas grand-chose à l’ensemble de la famille des corvidés. Il est bien entendu interdit de les tuer ou de leur porter préjudice, mais dans quelques cas, quand ils sont envahissants, des organismes spécialisés se chargent de régler les problèmes de voisinage entre eux et les humains. Dans certains cas, c’est par l’échange et la négociation, dans d’autres, c’est un peu de force, mais tout en préservant au maximum la communauté qui sera déplacée ou contrôlée.
Les psittacidés
Rassurez-vous, ce mot compliqué est le nom savant des perroquets et des perruches, pour simplifier. À la suite du constat fait pour les corbeaux qu’ils répondaient aux normes de la sentiance, le cas des psittacidés fut analysé en profondeur. Personne n’ignorait l’intelligence dont peuvent faire preuve les perroquets comme certains aras, des conures ou encore les perroquets gris du Gabon, mais la sentiance est devenue évidente même pour certaines perruches.
Dès lors, une partie du taxon des psittacidés a été étudié de près et une dizaine d’espèces ont été déclarés sentiantes, puis soumises au vote de l’UNE, de manière groupée, pour les intégrer à l’humanité, avec des droits et une protection légale.
Un truc à noter, c’est que nombre de ces espèces ont failli disparaitre et qu’un grand nombre des survivants vivait comme animaux de compagnie. Leur réintégration dans la nature, dans des sanctuaires protégés, se poursuit au 23ème siècle. Et pour ceux qui ne peuvent être encore réintégrés, ils vivent en bonne entente avec des êtres humains. Ils ne sont plus des animaux familiers au regard de la loi, même s’ils en restent dans les faits des animaux domestiqués vivant dans des refuges, sous un contrôle de protection animalière. Et certains d’entre eux vivent avec les humains qu’ils considèrent comme leur famille d’adoption, en gardant des contacts avec leurs congénères d’espèce.
Encart : et les éléphants ? Les éléphants font partie des mammifères qui répondent en théorie à tous les critères de la sentiance, mais celle-ci est toujours discutée car les éléphants ne semble pas posséder de langage élaboré, malgré de forts indices sur l’existence d’une culture et d’une société. Pour le moment, l’Union Africaine se contente de les protéger, l’éléphant étant devenu le symbole de l’Afrique, et les débats commencés il y a 30 ans à l’UNE sont toujours en cours aujourd’hui.