C’est quoi, le Solarpunk, au fait ?
Alors, c’est une question qu’on m’a posée régulièrement, et tout à fait légitimement. Ce qui fut moins légitime fut d’essayer de m’expliquer ce qui n’est pas solarpunk, pas cyberpunk, ou pas le contraire de cyberpunk, ou si, ou non, ou pas punk, ou pas cyber, bref, vous avez compris l’idée. Des critiques lapidaires et vides, se basant sur rien d’autre coté support culturel que : j’ai joué à (insérer ici votre JDR ou jeu vidéo préféré d’une licence très célèbre).
Je vais donc commencer par vous faire un aveu : je ne connais presque rien à la culture Solarpunk ! Je n’y connais d’ailleurs pas grand-chose non plus en punk, ni en cyberpunk, mais par contre, j’aime lire et j’aime surtout me cultiver et m’informer. Donc, au-delà d’une formulation simple pour répondre à « c’est quoi le solarpunk ? » et me retrouver l’air con aux questions qui suivent, je suis donc aller chercher et creuser… et vu que faut attaquer par « c’est quoi, le punk ? », autant dire que j’ai creusé assez loin, ouais !
1- Le Jour d’Après
Donc, on va commencer dans le simple… vous prenez Ready Player One, Blade Runner, Matrix, Ghost in the Shell, Bienvenue à Gattaca, Chappie, Cyberpunk Edgerunner, Existenz, Avatar, Altered Carbon, Akira, Robocop, et la liste est non-exhaustive, et tout ça, c’est du cyberpunk. Et pour beaucoup, la SF, c’est soit le space-opéra façon Star Wars et Star Trek, soit le cyberpunk. Et le cyberpunk, pour faire simple, c’est le monde qui va dans le mur en prenant exactement la pire direction possible, c’est-à-dire celle de notre civilisation contemporaine, sans même essayer d’arrêter la catastrophe écologique, humaine, sociale et technologique à venir. Et si on n’a pas de bras robotiques et d’implants matriciels pour surfer sur le web par la pensée, faut bien admettre que pour le coté hypercapitalisme, privatisation du monde, évolution technologique impossible à suivre, biotopes tous en train de crever et agonie des luttes sociales et humanistes, on coche actuellement toutes les cases du cyberpunk. No futur, camarade !
Ok, et sinon ? Ben, on encore le post-apocalyptique, qui essaye de voir comment ça se passe après – hint : en général très mal et avec peu d’espoir, et si possible beaucoup de zombies, c’est la mode – mais, bon, on ne peut pas tellement dire que ce dernier ait beaucoup le vent en poupe en ce moment. Peut-être parce que c’est encore plus déprimant – et souvent encore moins intelligent – que le cyberpunk ?
Bref… Le truc, c’est que le cyberpunk, à l’origine, c’était une contreculture ; oui, comme le punk ! Car rappel : ça a 40 ans. Le Cyberpunk est né avec William Gibson dans les années 80 comme pendant, presque opposition, au renouveau euphorique de la révolution néo-conservatrice des années Reagan et de la culture des films de héros virils à gros bras pétant du (insérer ici ennemi de préférence communiste méchant). Une révolution néo-conservatrice qui cachait (mal) sous le tapis les débuts des effets du dérèglement climatique, de la pollution à outrance, de la dévastation des biotopes et ne se cachait pas être là pour défoncer les luttes sociales des décennies précédentes, pour instaurer un monde capitalisme dérégulé.
Le cyberpunk, en fait, c’était juste un avertissement de ce qui pouvait se produire et comment cet enthousiasme à la modernité cachait très mal un avenir de merde… qui est notre présent. Le futur, on y est ; le cyber ressemble pas du tout à ce qu’imaginaient Gibson et Sterling ou encore Lewis Shiner, qui s’amusait de la récupération hollywoodienne du cyberpunk, mais encore une fois, il est là, dans votre smartphone, votre GPS de voiture, vos données connectées en direct, votre assistant vocal, les drones qui vous surveillent, les caméras qui vous identifient et les algorithmes experts IA qui peuvent vous berner avec n’importe quelle image ou texte. Quant au punk, celui du mouvement d’origine est mort.
2- No Futur ? C’est plus assez punk !
La posture punk est alors ailleurs : la subversion, c’est-à-dire l’essence même du mouvement punk, c’est de s’opposer à cette réalité annoncée. Le punk, c’est le gars qui conteste, avec radicalité, bruit, humour et autodérision ; car pour plonger dans une lutte, il faut commencer par être lucide avec soi-même. Le punk essaye de dire : tout le monde peut faire bouger les choses, sur un pied d’égalité. La règle est de créer, chercher les alternatives, explorer les chemins de traverse, faire beaucoup de bruit, et le faire pour lutter. Ouais, c’est en général une sorte de mutant entre anarchisme, socialisme humaniste, cynisme désabusé et violence militante. Mais, non, ça ne se limite pas à de l’esthétique et du son dégueu… C’est juste, selon moi, par essence, la contestation en mode subversive ; car si vous voulez casser les statuts-quoi admis par la société, la subversion est la seule alternative à la violence.
Donc, oui, le punk est un mouvement bruyant et bordélique, voire même effrayant par sa violence apparente complètement assumée, mais qui est surtout très politique, très social, très ancré à gauche toute, aussi. C’est d’ailleurs réellement la victoire de la révolution néo-conservatrices des années 1990-2000, venant infecter jusqu’aux milieux musicaux et essoufflant la tête de pont du mouvement punk, ses groupes de musique, qui a mis fin à cette contreculture. En fait, comme le cyberpunk et dans le même temps, la réalité a avalé ces mouvements, les a digérés et les a recrachés en bouillie prédigérée. Ouais… c’est plus du tout « punk », ça.
Mais alors, c’est foutu ? On doit se résigner à notre sort ? Tout ce qui nous attends c’est cette réalité cyberpunk de merde qui ferait parfois passer les pires descriptions d’univers corporatistes de Mike Pondsmith pour de la bluette naïve ? Il reste quoi pour rêver et croire à un futur, un vrai ?
Ben, il reste soit les passés uchroniques nostalgiques, que ce soit de la fantasy classique, du steampunk, du dieselpunk, du urban fantasy et j’en passe… soit il reste des futurs à réinventer. Et, de préférence, des futurs optimistes et solaires, car je rappelle que le post-apocalyptique le plus réaliste est celui où tout le monde est mort à la fin. Pour citer l’artiste et théoricien britannique Jay Springett, un chantre du mouvement Solarpunk : « Le but du Solarpunk est d’annuler/déprogrammer l’apocalypse ». (en anglais, c’est : the goal of solarpunk is to cancel the apocalypse).
3- L’anti-dystopie
Donc, le solarpunk, ça existe depuis une quinzaine d’années, avec un truc assez étonnant : il n’a pas encore de définition tout à fait claire. Je suppose que c’est parce qu’en tant que mouvement contreculturel resté encore assez confidentiel, il manque encore d’une grosse œuvre majeure qui servirait de socle et de référence… mais c’est aussi le propre d’une contreculture : ne pas trop aimer se faire étiqueter.
Mais bref, c’est en 2008 que nait le terme, sur un blog nommé Republic of the Bees qui publie le post, From Steampunk to Solarpunk. Le mot est lâché, l’idée aussi, reste à s’en emparer pour en faire quelque chose. Ce qui est fait entre 2012 et 2014, avec les premiers recueils de nouvelles solarpunk de chez Editora Draco (au Brésil) : Solarpunk: Histórias ecológicas e fantásticas em um mundo sustentável (« Solarpunk : histoires écologiques et fantastiques dans un monde durable) et la définition du mouvement esthétique par Miss Olivia Louise sur un Tumblr – que j’ai pu retrouver !
Et c’est, enfin, en 2017, que le Solarpunk sort du placard et que cette contreculture gagne ses lettres de noblesse, avec une anthologie de science-fiction nommée : Sunvault, stories of Solarpunk and Eco-speculation, qui propose l’essence même du mouvement et de sa définition : le solarpunk est une anti-dystopie, qui a même désormais son manifeste, que vous pouvez lire ici en français : a creative re-adaptation of ideas about solarpunk written by many people (une réadaptation créative des idées sur le solarpunk écrites par de nombreuses personnes) signé du nom de The Solarpunk Community.
Si les artistes, auteurs, penseurs du Solarpunk voient leur mouvement comme l’héritier du Cyberpunk, c’est parce que, justement, ils s’inspirent beaucoup des concepts et théories des maitres du genre cyberpunk ! Le Solarpunk utilise et marche – et même s’essuie les pieds dessus – sur les concepts de transhumanisme et de monde sauvé par l’innovation technologique et les machines. Gibson était le premier à dire que les utopies annoncées ont toutes une sale odeur de désastre, et le mouvement Solarpunk s’intéresse à la leçon apprise une fois le désastre passé. Une leçon par essence totalement subversive pour la pensée fermée et étroite des hommes contemporains les plus fortunés, de ceux qui pensent à émigrer sur Mars ou se font bâtir des bunkers, et dont le Solarpunk scelle le sort : eux, comme tous les représentants du pouvoir qui les a conçus, sont déjà hors-jeu… voyons ce qui se passe après.
4- Solarpunk !
Ok, vous commencez à avoir une idée de quoi on cause ? Le Solarpunk, c’est pendant, ou après la catastrophe, quand tout le monde annonce que c’est l’apocalypse, mais qu’en fait, non : il reste des solutions possibles, ou encore des survivants, mais pour enfin vivre en paix et avoir un futur, il faut tout repenser.
La subversion du Solarpunk c’est de l’optimisme, avant tout, mais pas dans une foi dans les institutions établies et leurs règles, plutôt dans les solutions alternatives et même la subversion des systèmes établis ! Pour changer le monde, pour le rebâtir et le faire fleurir, il faut non seulement changer les règles et les contourner, mais même redéfinir les priorités de l’humain en tant qu’espèce, civilisation, société. Donc autant, on a ces thèmes en œuvres de fictions, qu’on retrouve ces sujets bel et bien étudiés, discutés, et mis en pratique, là, maintenant, de suite, un peu partout, avec l’aide d’agriculteurs, d’environnementalistes, d’ingénieurs, de sociologues, de développeurs et spécialistes de l’open source, et j’en passe. Le mouvement est bel et bien une contreculture vivante, héritière, non sans fierté, du cyberpunk et du punk, et qui défie par sa subversion notre réalité contemporaine, définitivement cyberpunk…
Quant aux histoires, ce qui nous intéresse ici, puisque nous parlons d’un jeu de rôle Solarpunk, on cause de récits d’anticipation aux énergies renouvelables et aux matériaux recyclables boostés aux nano-technologies, aux centres urbains écologiques et aux cités-forêts. On y contrôle la puissance de la nature sans jamais vouloir la dominer, mais vivre avec, en harmonie pour faire corps avec elle plutôt que de devoir lutter contre… On aime le solaire, l’éolien, le vélo, les transports en commun et les navires à voile. On aime les exploitations agricoles à taille soutenable et autres techniques de permaculture où travaillent de concerts humains et robots. On y parle de futurs où l’humanité, qui en a pris plein la gueule, relève la tête et surtout tire – enfin – des leçons de toutes ses erreurs et ses égoïsmes vis-à-vis de sa planète et de sa propre espèce.
Et, enfin, et surtout, on sort du schéma homme blanc occidental cisgenre comme référent de base ; éducation, sexualité et genre sont passés à la moulinette de l’optimisme social de gauche, assumé, subversif et souvent radical. On casse l’ethnocentrisme occidental, et on va voir du côté des cultures d’Afrique subsaharienne, de Chine, d’Amérique du Sud, d’Inde, dans un joyeux métissage des ethnies, des cultures, des langues. Et on arrête de coloniser comme de bons gros colonialistes 19ème siècle ; désormais, poser son cul quelque part, c’est commencer par se demander comment le faire dans le respect du biotope où on le pose.
Voilà, en très rapidement résumé, qu’est-ce que le Solarpunk : une vision, une esthétique, un mouvement culturel, littéraire, artistique, mais aussi une contreculture subversive, qui est, là, maintenant, près de vous, en train de chercher les alternatives à la fin du monde qui nous est annoncée et que nous semblons accepter totalement, sans vraiment encore remettre en question le pouvoir des responsables de cette catastrophe. Le Solarpunk, c’est celui qui pense qu’on la fera, cette remise en question, totale et absolue, et qu’après, on se décidera à aller reverdir cette putain de planète, entre deux ramens bios et du surf sur du web délocalisé et partagé, aux serveurs refroidis écologiquement et alimentés par des stations marémotrices, sous la lumière de notre éclairage solaire.
5- Singularités, c’est du Solarpunk
Singularités, c’est 175 ans après la « fin des temps », c’est 8 générations entre notre monde cyberpunk tout nul, et un futur rebâti sur un véritable projet d’utopie. C’est moins d’un milliard de survivants sur une planète dévastée, qui, en plus, ont failli remettre ça et s’entredétruire, alors qu’ils se relevaient à peine. C’est une fiction qui raconte comment la Nouvelle Humanité a pris la mesure et les conclusions d’une leçon magistrale, sous forme de pain dans la tronche avec un gant de boxe ferré.
Ça aurait réellement pu tourner en monde Cyberpunk à la Altered Carbon – et coté cybertechnologie y’a eu une période pas drôle – avec des hommes tout-puissants à la tête de corpos dirigeant le monde au grès de leurs caprices – et ce n’est pas faute que ces corpos aient essayés, d’ailleurs. Ça aurait aussi pu tourner en post-apocalyptique sur une planète désolée et invivable à la loi du plus fort règne – et c’est bel et bien arrivé pendant un temps. Ça aurait pu mal finir, plusieurs fois.
Et ça pourrait encore et toujours mal finir ! Singularités, c’est un monde soutenable, écolo, social et humaniste, mais qui se prend régulièrement les pieds dans le tapis des travers de la nature humaine, entre avidité, haine, égoïsmes, bellicismes, catastrophes technologiques, impensés culturels et intérêts contradictoires. C’est une quasi-utopie ratée, qui se demande en permanence si elle va réussir à tenir le coup ou se casser la gueule brutalement. C’est un monde en apparence idyllique, mais fondamentalement chaotique, secoué de tensions permanentes, qui n’a en rien réglé définitivement les problèmes qu’ont affrontés toutes les civilisations humaines passées, et qui doit composer avec une planète qui a salement morflé et dont, si la Nouvelle Humanité veut survivre, elle doit prendre soin coûte que coûte.
C’est enfin un monde qui a presque réussi à atteindre le stade de la post-rareté des ressources, avec la plus importante d’entre elles : l’énergie… mais qui réalise que pour atteindre ce stade, où on peut enfin s’occuper de l’humain, de la nature et du social, ne va pas sans en payer le prix… et ce sans en connaitre la facture réelle. C’est un monde futur presque idéal, pour la plupart des gens. Mais les idéaux, ça ne fonctionne pas sans sacrifices ni compromis, ni squelettes dans le placard… C’est un vrai futur Solarpunk. Et quand on est punk, on sait que la lutte ne peut jamais s’arrêter et que tout peut basculer à tout moment.
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