Singularités, le jeu de rôle
Cultures & civilisationLa Nouvelle HumanitéLe monde en 2202

La Nouvelle Humanité, partie 4 : Le travail au 23ème siècle

Tout a changé au 23ème siècle et même ça, en effet. Là encore, c’est la résultante des effets des mutations sociales de la fin du 21ème siècle et la redécouverte de l’histoire de l’ancienne civilisation humaine qui ont servi d’exemple sur ce qu’il ne faudrait pas faire. Un exemple dont les leçons ont été dures à suivre. L’abandon de la notion de travail productiviste et la fin du néolibéralisme ont demandé une lutte politique, menée par les courants les plus sociaux de l’UNE, qui a duré jusque dans les années 2140.

Le 23ème siècle est un étrange mixe entre économie sociale de marché, capitalisme contrôlé et capitalisme d’état.  Les Consortiums, ces puissantes multinationales ayant en général un quasi-monopole de facto sur un secteur d’activité à l’échelle globale, sont eux-mêmes acteurs d’un équilibre fragile et compliqué entre des impératifs sociaux et des aspirations de libre-marché. Ce qui n’a pas survécu au 21ème siècle, c’est le néolibéralisme et les philosophies impérialistes du capitalisme. Les Guerres des Consortiums n’ont pas donné à ces dernières un pouvoir sans borne qui supplante celui des nations mais, au contraire, pour les plus puissantes d’entre elles, la responsabilité de devoir suivre les règles internationales auxquelles sont contraintes les états, tout en gagnant certains de leurs avantages, dont les concessions territoriales leur permettant d’être en partie souveraines sur leur propre terrain, à la condition d’y appliquer les règles démocratiques de la Charte des droits de l’Humain de l’UNE.

Bref, dans une guerre entre intérêts d’entreprises et intérêts d’état, personne n’a gagné ; la solution privilégiée a été une collaboration sous contrôle et parfois même sous contrainte, qui a finalement laissé la part belle à une gestion sociale du monde du travail. On peut s’en étonner, mais en fait, tout le monde y trouve son compte dans un système où la surcapitalisation est sous contrainte et devenue le meilleur moyen de fâcher activement le plus gros acteur politique de la Terre : l’UNE. Et les Consortiums jouent le jeu, à leur bénéfice… sans bien sûr oublier de tirer la couverture à eux de temps en temps. L’interdépendance entre intérêts privés et intérêts d’état, entre capitalisme et socialisme, est actée… du moins, tant que l’équilibre tient le coup.

Le travailleur du 23ème siècle a ainsi, grâce à ce qu’on nomme en 2202 le capitalisme social, sans souci de lier ces deux termes autrefois opposés, cessé d’angoisser quand à trouver un emploi, malgré l’omniprésence d’une robotique performante. La généralisation du Dividende Universel, la protection sociale étendue à tous, rendent les périodes de latence entre deux emplois ainsi que les projets personnels nettement plus aisés à assumer. La formation professionnelle est aussi plutôt facilitée, grâce aux interfaces et aux cours magistraux à distance, via SIRM ou simplement réalité augmentée. Ces formations sont assez fréquemment sponsorisées et cofinancées par des Consortiums ; ils y voient leur intérêt évident.

Ce qui a disparu en termes de profession concerne avant tout les métiers de manutention et de service pénibles. En fait, les métiers indispensables mais de qualification basse et mal payés du 21ème, désormais, ce sont des robots et des drones sous contrôle de système experts de type T2 ou T3 qui s’en occupent ; et comme les machines, ça ne sait pas tout faire et que l’humain doit être présent dans certains secteurs où elles sont limités, d’autres métiers peu valorisés au 21ème siècle sont devenus des métiers d’intérêt, parce que réactualisés financièrement et devenus plus attractifs.

Mais entrons donc dans le vif du sujet !

Le Dividende Universel

Pour ceux qui se demanderaient de quoi il s’agit, le dividende universel, parfois appelé revenu de base ou encore allocation universelle, est une somme d’argent versée par les autorités d’état à tous les citoyens, sans conditions de ressource, ni obligation ou absence de travail.

Le montant de cette somme d’argent, versé dès la première année du citoyen et jusqu’à sa mort, est calculé sur la base du salaire minimum, auquel sont soustrait toutes les charges de protection sociale et les impôts. Le total, en général, est au final d’environ 1000 à 1250 C, ce qui ne constitue pas de quoi vivre vraiment confortablement pour un individu isolé, mais lui assure, en plus d’avoir accès à toutes les prestations de santé et assurances personnelles nécessaires, sans oublier certains services culturels et l’éducation gratuite, d’avoir de quoi manger, un toit sur la tête (en tout cas en théorie) et de quoi se vêtir.

Pour donner un ordre d’idée, un individu vivant dans un appartement de 30m2, qui s’achète quelques vêtements tous les mois, dépense raisonnablement en nourriture et sans se priver et, enfin, loue un service de voiture mutualisé, peut compter 250 à 300 C pour d’autres dépenses. On ne tient pas compte de ses autres dépenses de déplacement, de l’achat de mobilier, etc. Mais un individu du 23ème siècle peut facilement compter, quand il arrive à ses 18 ans, sur un pécule de 7000 à 9000 C pour se lancer dans la vie. Ceci, pour qui se sera posé la question, favorise d’ailleurs les familles nombreuses ; il aura raison : l’humanité étant encore largement réduite au 23ème siècle par rapport au 21ème et la moitié de la population étant atteinte d’infertilité, les politiques d’aides à la natalité sont une évidence. Le Dividende Universel en fait donc partie.

On se demandera comment ce dernier est financé, bien entendu. Là, la chose est assez simple. On ne va pas se lancer dans de l’explication économico-financière détaillée, je vous rassure. Ce n’est pas le plus passionnant des sujets ; si vous voulez le développer, libre à vous bien entendu. Les fonds payant ce dividende proviennent de trois sources principales : les impôts sur les revenus, qui s’appliquent sur tout revenu au-delà du Dividende Universel, à raison d’en général entre 35 et 50% de ces revenus ; les impôts sur les transactions, qui remplacent les formes de TVA qui ont toutes disparues : toute transaction, que ce soit pour un café ou un échange de cent mille actions boursières, est taxé à de 0,3 à 2% de la valeur de la transaction ; enfin, il y a les impôts sur le patrimoine, qui concerne les individus autant que entités morales (comme les entreprises) et qui taxent la somme de tous les biens à raison d’une moyenne de 0,6 à 2% de la valeur totale du patrimoine. Cette dernière taxe s’applique au niveau de chaque nation ; ainsi, Shipstone peut avoir son siège en Australie, ses usines de Gateway sont taxés par la cité-état indépendante. Quant aux transactions, elles sont taxées localement ou à échelle internationale, à travers toutes les transactions économiques opérées sur les devises. Ces transactions sont taxées en général de 0,3 à 0,5%.

Et les entreprises, y compris les Consortiums, jouent le jeu, simplement car ils y voient leur intérêt, dans un monde où tout a été fait pour endiguer la surcapitalisation. Des gens qui ont de l’argent le dépensent et donc permettent d’assurer une circulation des capitaux dans ce qui n’est finalement rien d’autre qu’un système d’investissement qui assure aux entreprises d’avoir toujours un marché où écouler leurs produits. Ces entreprises s’assurent ainsi des consommateurs constants dans un système assez comparable à ce que l’on pourrait nommer économie circulaire.

Pour le quidam moyen, l’avantage est évident : il dispose de plus de liberté quant à ses choix professionnels et personnels, peut prendre des risques et lancer des projets sans craindre pour sa sécurité matérielle et peut aisément se reconvertir professionnellement sans se demander comme il va payer ses factures. Ce système privilégie, entre autres, les artisans, les travailleurs indépendants du monde rural et, enfin, les professions artistiques, des domaines dans lesquels la précarité est un risque palpable. Et, sans surprise, cela n’incite pas les gens à cesser de travailler ! Cela les encourage surtout à chercher un métier qui leur convient, ce qui a comme corolaire de les rendre plus productifs quand ils le trouvent, simplement parce qu’il est plus aisé pour eux d’y être heureux et épanouis. Les gens vivant du Dividende Universel sans travailler sont finalement peu nombreux : en moyenne, on ne compte pas plus de 2,5% d’inactifs. Par contre, les « petits » métiers ont explosés, que ce soit de service local et associatif ou d’artisanat, les gens pouvant plus facilement faire d’une passion une profession finalement rentable, même si les gains sont modestes.

Forcément, tout le monde n’aime pas non plus cette politique ; elle a beau obtenir des résultats indéniables dont une chute massive de la précarité, l’idée de redistribuer les richesses, cela n’est pas au goût de tout le monde. L’autre effet, qui est de libérer les individus du carcan du salariat captif, ne plait pas forcément non plus. Le Dividende Universel est indirectement imposé par les statuts de l’UNE, via les réglementations sociales de la Charte des Droits de l’Humain. La plupart de ses états-membres jouent totalement le jeu, d’autre ont instaurés une somme d’argent plus ou moins faiblarde et qui n’a guère plus que l’effet d’éviter l’extrême-pauvreté, comme c’est le cas dans les USEA. En dehors de l’UNE, quelques nations l’appliquent aussi, par exemple à Carthage qui, malgré un gouvernement corporatiste, se félicite de ses politiques sociales. Mais la plupart des pays hors de l’UNE refusent de telles mesures, considérées comme l’expression d’un radicalisme politique irresponsable, contraire aux principes de la libre-entreprise ; et aussi pour des nations comme Patagonia, contraire aux lois de Dieux. Allez savoir…

Et puis, pour disposer du Dividende Universel, il faut exister de manière officielle ; et d’une manière qui ne laisse aucun doute que les administrations sociales et fiscale ont un très bon aperçu d’où se trouve chaque citoyen et dans quelle situation. Cela implique que dans nombre d’états, même de l’UNE, les individus les plus activement hostiles à l’idée d’état et donc de contrôle n’ont pas toujours cette somme d’argent. Soit parce qu’ils ont tout fait pour disparaitre des registres, soit parce qu’une condamnation judiciaire les en a privé. L’UNE est contre ce genre de pratique mais a du mal à trouver des arguments convaincants contre ce genre de peine. Et puis, il y a la frange des individus qui, par malchance le plus souvent, ont quitté le système et ne parviennent pas à y revenir et ceux qui ne tiennent pas à ce qu’on puisse savoir officiellement qu’ils existent. Les cas sont très variés mais, en gros, environ 5% de la population de l’UNE n’a pas accès au Dividende Universel. Quant aux Zones d’Exclusion, il va sans dire que leurs résidents, dont on peine à simplement recenser la population, n’en voient jamais la couleur.

La robotique & les nouveaux métiers

La généralisation de la robotique, qui a commencé dès la fin du 21ème siècle, n’a pas détruit le travail ; elle a surtout comblé les manques de main-d’œuvre d’une espèce humaine décimée, a permis le développement spatiale et l’exploitation industrielle hors-sol et a créé de nouveaux métiers, finalement entrés dans les mœurs et la vie quotidienne.

Pour faire simple, des robots, il y en a partout. Sur les chantiers, dans les cuisines, dans les champs, sur les routes, autour des Vrilles, etc… Voir passer et travailler des robots est, pour le quidam du 23ème siècle, absolument banal. Ceci dit, oubliez les robots humanoïdes perfectionnés ou les machines indépendantes qui se rebelleraient soudain au détour d’une ligne de code défaillante ; la majeure partie de la robotique est avant tout affaire de drones et de systèmes experts simples, loin de toute forme d’IA haut niveau. Ces dernières sont rarement cantonnées au pilotage des robots, sauf dans des cadres très particuliers comme les plus grandes usines de forges nanorobotiques et sur des chantiers d’exception où il ne peut y avoir la moindre présence humaine, comme ce fut le cas pour la construction des premières bases lunaires ou du Seuil.

Et s’il y a des robots partout, ce n’est pas particulièrement pour ne pas avoir à payer un salaire à des humains. Après tout, avec un Dividende Universel généralisé, des boulots de chantier ou encore de propreté urbaine pourraient se justifier. Mais la raison est toute autre : un robot, ça n’a pas mal au dos ; ça ne craint pas des produits polluants ou un environnement de travail néfaste à la santé des êtres biologiques. Un robot, ça n’a pas le vertige, ni de crampes, ça n’a pas de famille qui pleurera sa mort en cas d’accident. Un robot, ça ne dort pas, ça ne s’ennuie jamais, ça ne peut pas faire de burnout et ça ne peut pas être méprisé d’accomplir une tâche prétendue dégradante mais essentielle à la communauté. Bref, un robot, c’est corvéable à merci, ça n’a aucune raison de se syndiquer, ça ne souffre pas et, quand ça casse, ce n’est pas exactement dramatique.

Bien sûr, cela prive, et c’est un argument de certains groupes anti-technologistes mais, aussi, sans surprise, de certains courants nationalistes, l’humain de certains métiers. Mais ceux-ci ont tous comme point commun d’être des professions qui, jusqu’à la moitié du 21ème siècle, étaient peu valorisées, méprisées et très mal rémunérées. Désormais, les machines se chargent de ces boulots de merde et, par leur travail, crée d’autres formes d’emploi tout en laissant libre de la main-d’œuvre qui peut faire autre chose de plus passionnant, intéressant ou productif, que technicien d’entretien des sols ou plongeur dans une arrière-salle de restaurant.

Et donc, cela crée aussi nombre de nouveaux métier et pas seulement pour des ingénieurs de haut niveau. D’une part, un robot, ça peut s’abimer ou tomber en panne sur un chantier, donc, il y a toujours des humains aux commandes, que ce soit pour la domotique d’un motel de banlieue, la robotique d’un parc de loisirs local ou les machines d’un chantier de travaux publique. D’autre part, la domotique se retrouvant jusque dans la plupart des foyers, tout le monde a le numéro du bon réparateur du quartier en cas de pépin. La plupart de ces métiers sont des techniciens de maintenance, qui sont sur place ou jamais très loin du lieu de déploiement des machines, chargés de s’assurer que les robots et leurs opérateurs systèmes experts fonctionnent bien. Ils peuvent remettre en état, réparer, améliorer aussi. Certains sont bardés de diplômes, d’autres ont une formation de terrain et une expérience professionnelle. Tout le monde connait un pote ou un cousin qui est roboticien, c’est un métier très répandu. Les ingénieurs et experts en robotique sont en général recrutés par de grandes entreprises pour de la maintenance complexe ou de la R&D. Réparer un domos (un petit robot qui s’occupe des tâches simples comme le ménage ou la vaisselle) ou débuguer le programme de son système expert, au 23ème siècle, c’est un peu du niveau de réparation d’une mobylette du 20ème siècle, pour le commun des mortels.

La robotique, la spationautique, les piles Shipstone et les nouveaux matériaux comme le graphane et ses alliages ou encore les nano-céramiques, ont permis l’exploration et la conquête de nouveaux milieux ; la nécessité pour la Nouvelle Humanité de trouver comment se fournir en matière premières et se nourrir, en évitant autant que possible de continuer à ravager l’écosystème de sa planète, ont fait le reste pour créer de nouvelles professions. Ces dernières sont variées et nombreuses : aquaculture et agronomie marine et sous-marine, exploitation industrielle et minière immergée, une quantité de métiers spécialisés en écologie et ingénierie sous-marine et polaire. Et puis, il y a tous les métiers de l’ingénierie agricole et industrielle hors-sol, c’est-à-dire dans l’espace et sur les mondes du système solaire, du technicien en mécanique des moteurs EM5 en passant par les agronomes de culture en impesanteur, sans oublier les spécialistes des réacteurs à fusion et de l’extraction de tritium et même les techniciens de capture et recyclage des déchets spatiaux.

On pourrait bien sûr enfin citer StarForce qui emploie plus de deux millions de personne pour l’effort militaire de la Guerre Éternelle, sans compter les millions d’emplois annexes qui fournissent les moyens nécessaires à ce conflit, mais cela ne pèserait pas grand-chose en comparaison du plus grand chantier de la Nouvelle Humanité en terme d’emplois : le Projet Atlas. Pour faire court, car nous en reparlerons, il s’agit du projet mondial de réhabilitation climatique de la Terre, qui s’apparente d’ailleurs beaucoup plus à un projet de terraformation qu’autre chose. Les changements climatiques opérées au 20ème et 21ème siècle ne peuvent pas être endigués de manière directe et la géo-ingénierie a montré ses limites. Mais les milliers de stations de générateurs de glace des pôles et du permafrost, les chantiers gigantesques de reboisement, les travaux d’assainissement des sols contaminés par la pollution et la montée des eaux ou encore les équipes mobiles anti-tornades emploient des dizaines de millions de personne dans le monde, à tous les niveaux d’expertise. Si un quidam cherche du travail et n’a pas de formation particulière, il n’aura jamais de mal à se trouver un poste dans le Projet Atlas ; ce n’est pas sûr que le travail soit facile, ni assuré non plus qu’il soit très bien rémunéré, mais la paye et la sécurité de l’emploi lui sont assurés.

Et le chômage, dans tout cela ? Finalement, il n’est plus d’une part un réel problème à l’échelle individuelle grâce au Dividende Universel et, d’autre part, il se maintient bon an mal an à un niveau très bas, de l’ordre de 4 à 5% environ. Le chômage de longue durée n’existe plus réellement.  Mais encore une fois, tout cela, c’est dans l’UNE et dans les nations qui suivent peu ou prou les mêmes politiques ; il y a des pays aux politiques beaucoup plus despotiques et/ou instables et où le niveau de vie et le travail sont nettement plus précaires. Il y a concrètement du travail pour tout le monde. Mais il y a des choix de gouvernements qui contrecarrent notoirement cet accès au marché du travail, autant que les dispositions sociales favorisant un bon confort de vie.

Les Consortiums & les syndicats

En préambule, expliquons rapidement ce qu’est un Consortium : il s’agit d’un groupement d’entreprises fonctionnant comme une seule entité, à l’origine conçu pour réaliser des projets ou des opérations financières. Au 23ème siècle, les Consortiums sont les plus grands groupements d’entreprises multinationales concentrant un secteur d’activité pour tenter d’en garder le monopole partiel. La différence entre multinationale et Consortium tient avant tout au statut : les Consortiums ont négocié un privilège de concession territoriale auprès d’une nation, de l’UNE ou pas, en échange de certaines obligations ou avantages. L’UNE et le Tribunal Commercial de Gateway imposent aux Consortium, en échange de d’être littéralement souverains sur leur concession, de devoir y appliquer les mêmes lois que celles des nations membres ayant signés la Charte des Droits de l’Humain, qui, on le rappelle, est bel et bien un document qui a valeur de constitution juridique et est donc contraignant !

Il y a une centaine de Consortiums au 23ème siècle, dont les dix plus puissants, les Ten Stars, siègent comme membres de l’assemblée de l’UNE aux côtés des états. Ces dix entreprises composent le jury permanent du Tribunal Commercial des Consortiums, que tout le monde connaît mieux comme le Tribunal de Gateway. L’intérêt de devenir un Consortium est de soudainement nettement moins dépendre des caprices des états où on est installé. Une concession territoriale se loue, fort cher, le Consortium a des devoirs sociaux et politique comme un état, le statut peut être résilié par une nation-hôte mécontente, mais en cas de pépin, il est notoirement protégé par le Tribunal de Gateway. Sur le papier, cela fonctionne très bien, dans les faits, c’est un équilibre instable qui tient par une diplomatie internationale où bataillent intérêts privés et intérêts d’état, y compris parfois via la menace et les armes, car les plus gros Consortiums ont leur propre armée, et où l’UNE fait office d’arbitre à gros bras quand cela menace de déraper. Et après deux guerres de Consortiums en 70 ans, dont la dernière qui date de 2195, autant dire que y’a du boulot pour ne pas en recommencer une troisième.

Et bien sûr, ces Consortiums embauchent des quantités de gens qui travaillent donc dans un milieu bien spécifique, celui d’entreprises qui se comportent quelque peu en états et tiennent beaucoup à conserver leurs employés. Pour ne citer qu’un exemple, Dynamics, le Consortium aérospatial de l’Union Africaine, doit employer à lui seul pas loin de d’un million et demi de personnes. On peut considérer qu’environ un salarié sur vingt dans le monde travaille pour un Consortium. Ces derniers étant aussi les principaux utilisateurs de bioïdes, aussi bien pour les secteurs à haut risque que pour la sécurité et l’accueil-clientèle, c’est en grande partie de là que leur vient la réputation galvaudée de voleur de travail.

Économiquement, les Consortium ont autant, si ce n’est plus de poids que politiquement, c’est dire ; mais ils sont aussi soumis aux lois internationales, comme précisé ci-dessus. Résultat, ils sont tous forcés de suivre des politiques sociales pour leurs employés, y compris accepter et financer les groupements de représentants de leurs personnels, id est, les syndicats. Un Consortium a assez de pouvoir pour dicter la manière dont ses employés vivent et, si certains ne se préoccupent que peu de ce souci, d’autres ont des politiques d’entreprise qui incitent vraiment les salariés à se considérer, quelque part, citoyens de leur Consortium et non simple employés. Ils sont encouragés à penser, manger et vivre « consortium » et à être d’une fidélité sans faille. Ce qui rend les syndicats d’autant plus importants… et un peu gênant, bien sûr ; ces derniers sont en théorie indépendants, même si dans les faits, ce n’est pas toujours très clair, et ne vont pas forcément aller dans le sens de l’entreprise mais plutôt dans celui des droits des salariés.

Alors, quid des luttes sociales, justement ? Dans le cadre de l’équilibre d’un capitalisme social tel que nous l’avons décrit, la moyenne des relations entre syndicats et Consortiums est plutôt pour la « paix du travail », c’est-à-dire un effort de négociation constant pour éviter grèves et mouvements sociaux ; après tout, s’il est facile de quitter son poste dans une entreprise sans en subir des conséquences par trop dramatiques, il est clair que perdre soudain la moitié de ses revenus n’est pas sans risques non plus. Les luttes sociales les plus violentes menées par des syndicats sévèrement remontés et suivies en masse par les travailleurs sont des sujets rares, désormais. En général, quand cela arrive, la réputation du Consortium concerné en prend pour son grade, au grand plaisir de ses concurrents qui s’empressent d’en profiter. La grève, c’est vraiment l’ennemi de la santé des entreprises et ces dernières font tout pour l’éviter, avant tout par la négociation, souvent encouragés par les groupements syndicaux et les autorités d d’état. Le résultat est que les luttes sociales en arrivent rarement à des mouvements de masse ; c’est exceptionnel et ça ne passe d’ailleurs pas inaperçu. Le travailleur moderne ne veut lui-même pas en arriver là, mais les syndicats, puisqu’ils parviennent en général à des résultats, sont très suivis. Les salariés des Consortiums sont finalement souvent assez politisés, dans un autre équilibre entre influence de la politique d’entreprise des Consortiums qui veut fidéliser ses employés, et syndicats qui militent activement pour représenter leurs intérêts.

Bon, là encore, tout cela est bien beau… dans le cadre des nations et Consortiums jouant le jeu et respectant les principes de l’UNE. Ailleurs, les mouvements sociaux peuvent être réprimés dans la violence et dans les plans sociaux sans la moindre vergogne et il n’est pas rare qu’un Consortium très respectable dans une nation de l’UNE traite par ailleurs ses employés comme des chiens dans une concession territoriale hors de l’UNE.

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